
ADELANTE MUJER*
Nous sommes le 20 juillet 2020. Cinq femmes et quelques jeunes sont déjà installés autour d’une table, sous une petite terrasse arborée. Un arbre à palabres réservé pour les femmes, pourrait-on dire. Je m’installe. Stéphane, à l’extérieur du cercle, observe, regarde et prend quelques photos et vidéo. Elisabeth, mère de cinq enfants, est installée à ma droite, Dalida, impatiente, me fait face. Puis il y a les autres. Des femmes très jeunes, et déjà maman, parfois accompagnées de leurs filles, curieuses d’apprendre.
*Vas-y femme (traduction)
« Tu nous as apporté des barbijos ? » me demandent-elles. « Oui et je vais vous apprendre à les faire… » tout en déballant mon sac plein de masques au tissu d’Aguayo, plus colorés les uns que les autres. Enthousiasme et sourires chassent l’ombre des feuillages.

Nous avions pris contact avec Sarah, anglaise, créatrice et manageuse de l’association Adelante Mujer.
Un autre homme est présent et fait parti des encadrants. Fernando, surnommé « Nemo » affiche un sourire rassurant et semble bien s’entendre avec toutes ces femmes. Un peu plus tard, Florine, jeune belge, vient nous rejoindre pendant l’atelier « Como hacer un barbijo ?». Florine est psychologue dans une ONG de protection de l’enfance. Elle assure la traduction du français vers l’espagnol et découvre l’association dans laquelle elle oeuvrera bientôt.
Devant la réussite de la réalisation des masques, des questions fusent…La machine à coudre sur place fonctionne-t-elle toujours ? Pourrions nous fabriquer et vendre ces masques ? A qui ? Et à combien de bolivanos ? Cela pourrait vraiment apporter un coup de pouce dans le quotidien de ces femmes. Des envies naissent…
Entretien avec Sarah, créatrice de l’association « Adelante Mujer ».
Quel est l’objectif de l’association « Adelante Mujer » à Cochabamba ?
L’objectif de l’association est d’accueillir des femmes ayant subi des violences physiques et psychologiques ou de milieux très défavorisés, de leur redonner confiance en développant de nouvelles compétences pour les rendre également autonomes.
Quelles sont les compétences qu’elles peuvent développer à l’association ?
Cochabamba est la capitale gastronomique de la Bolivie. Les femmes font de la cuisine traditionnelle bolivienne. Elles retransmettent les recettes apprises par leurs grands-mères. Les repas sont préparés et parfois enseignés par des chefs de cuisine boliviens reconnus. Elles retransmettent leurs connaissances en organisant des ateliers de cuisine pour touristes ou expatriés.
Elles préparent également des rafraîchissements et des repas pour des déjeuners équilibrés, aux petites entreprises ou lors d’évènements privés.
Elles développent plus spécifiquement des plats veganes et végétariens.
Des volontaires viennent également leurs apprendre d’autres activités manuelles comme la réalisation de « dreamcatcher », l’horticulture, la gestion d’un budget, suivre une thérapie ou des ateliers pour développer la confiance en soi…
Comment ces femmes viennent-elles à l’association ?
Nous travaillons avec les commissariats de police, et les institutions soutenant les femmes victimes de violence comme les « Voces libres ». Lorsque les femmes sont identifiées, elles sont orientées vers l’association qui peut les accueillir, avec leurs enfants, pour un temps limité (de 3 à 6 mois). Gîte et couvert sont proposés gratuitement.
Combien de femmes font partie de l’association à ce jour ?
Actuellement, elles sont 20, dont 5 qui vivent ici avec leurs 11 enfants.
Comment est né ce projet ? Quelles ont été et sont encore tes motivations ?
Je me suis trouvée sur la plage de Rio de Janeiro, au Brésil et cette idée m’est apparue.
L’association existe depuis un an et demi.
Ce qui me motive encore et toujours c’est que les femmes se rassemblent, se soutiennent, se construisent les unes avec les autres. Elles démontrent elles-mêmes qu’elles sont dignes de confiance. Qu’elles peuvent réussir et s’en sortir. Nous n’avons pas besoin de dépendre d’un homme pour se réaliser. Ce n’est qu’avec ce soutien et cette fraternité que nous pourrons nous remettre des comportements de victime et se préserver des personnes qui nous maltraitent.
Le service de restauration que nous offrons au public (livraisons, ateliers), constitue une force et apporte des possibilités de création illimitées.
Un soutien juridique, social, psychologique ne fait que renforcer le potentiel de ces femmes qui travaillent ensemble.
Sarah, peux tu te présenter ? Qui es-tu ? D’où viens tu ? Quel est ton parcours scolaire et professionnel ?

J’ai 26 ans et je viens de Londres, Royaume Uni. J’ai étudié la psychologie et la philosophie à l’Université d’Oxford. Un an après mon départ, j’ai décidé de voyager à travers l’Amérique du Sud. Je suis devenue très passionnée par les cultures. Les partager me stimule énormément. J’ai vu le potentiel de ce concept d’autonomisation à travers le partage de compétences et de connaissances pour les femmes qui ont souffert de violences conjugales en Bolivie.
Comment as tu démarré ton projet ? Avec quelles aides financières et humaines?
Je suis restée en Bolivie pour construire ce projet à partir de zéro et je n’ai jamais regardé en arrière.
Je l’ai lancé seule, sans aucune aide financière. Seulement 30 livres en poches pour acheter des tabliers pour démarrer les ateliers cuisine pour les touristes. De là, le projet a grandi et grandi…tout ce que nous avons acheté était le résultat de ce que le projet a gagné grâce aux activités que nous avons offertes aux publics.
En quoi crois tu pour conduire ce projet ?
Je suis quelqu’un qui a une foi forte. Je crois que nous sommes tous des messagers de lumière dans cet univers et que nous devrions nous concentrer uniquement sur ce que notre puissance supérieure veut que nous fassions ou contribuions dans cette vie. Nous ne pouvons pas nous tromper si tel est notre objectif. Et l’univers conspirera pour rendre cela possible en apportant les bonnes personnes, les bonnes situations et les bons moments pour chaque étape du déroulement.
Je cois que ce projet est un projet spirituel. Il se fonde sur les principes de l’amour de soi et de l’amour des autres…de trouver notre guide intérieur…nos vérités intérieures et la valeur que nous avons chacun en tant qu’être humain sur cette planète.
J’ai traversé mon propre processus de croissance spirituelle après avoir souffert d’anorexie à l’adolescence.
Ce projet est le résultat de mon rétablissement. Je pense que mon but est d’être ici sur cette terre, de guider les femmes dans le chemin de l’acceptation de soi et de la jouissance de la connexion qui existe entre nous.
Avec qui fais-tu équipe ?
Toutes les personnes qui travaillaient au début, travaillaient gratuitement, volontairement, les chefs qui formaient les femmes…celles qui aidaient à organiser les évènements. Maintenant nous avons l’argent pour payer ces gens, et nous avons suffisamment de donateurs extraordinaires qui nous ont aidés à recueillir de l’argent pour payer le loyer de notre maison.
Peux tu nous donner quelques exemples d’histoires de femmes qui t’ont particulièrement marqué ?
Les histoires des femmes de ce projet sont incroyables. Je n’ai jamais rencontré de femmes qui ont vécu des vies aussi tristes et torturées, mais qui sont prêtes à avancer et à traiter, à transformer leur douleur en lumière.
Ces femmes sont prêtes à faire le travail pour devenir des personnes stables et saines, indépendantes et intègres.
Que deviennent elles ? As tu des nouvelles de certaines ?
La croissance et le développement de chacune d’entre elles ont été remarquables pour moi, tout comme ma croissance en tant que chef de file de ce projet. Chaque jour nous grandissons ensemble, apprenons à nous aimer, à lâcher prise et à nous faire confiance.
Peux tu nous citer deux ou trois exemples de femmes qui ont réussi à s’en sortir ?
Puisqu’il s’agit d’un tout nouveau projet, les premières femmes à vivre dans la maison sont les femmes qui y vivent maintenant. Nous n’avons pas encore d’histoire de femmes qui ont quitté le projet et qui ont « réussi » mais dès que cela arrivera, je vous le ferai savoir.
Ce qui constitue déjà une réussite c’est que les femmes qui vivent dans la maison depuis 6 mois, ne sont jamais retournées vers leur agresseur. Elles se suffisent à elle même, prennent soin d’elles et de leurs enfants.
Elles se transforment par la thérapie, tout comme leurs enfants également traumatisés. En bénéficiant d’un soutien juridique pour leurs affaires pénales, elles sont formées à la gastronomie et à d’autres compétences leur permettant de vivre à l’extérieur de la maison.
Pourquoi nous avons choisi l’association « Adelante Mujer » dans le cadre de notre projet, « Un barbijo que dura, para todos »* ?
Nous avons trouvé cette association par une recherche active sur les réseaux sociaux. L’idée était de trouver un lieu où l’on pouvait échanger des savoirs.
Le Covid-19 et les mesures qui en découlent, rendent les choses plus difficiles en matière d’échange mais cependant jamais impossible.
L’idée de rencontrer ces femmes en leur offrant des masques, subventionnés par les entreprises françaises partenaires, tout en leur apprenant à les réaliser elles même, nous semblait une démarche sensée, utile et solidaire. Mettre des gens en lien, d’une manière ou d’une autre, est une autre démarche qui motive nos actions.
D’autre part, mettre en lumière des personnes qui s’engagent, comme Sarah, d’une manière inconditionnelle, altruiste, répond à un autre de nos besoins, celui de valoriser les petits colibris.
Toutes ces personnes, avec leurs moyens, apportent une pierre à l’édifice. Un boulot que chacun devait avoir à l’esprit pour rendre ce monde meilleur et faire obstacle à l’égoïsme et à l’individualisme!!!
Quelques chiffres et réalités sur les femmes victimes de violence en Bolivie.
La Bolivie est un pays où tous les deux jours, une femme est victime d’homicide. La violence faite aux femmes et aux enfants est monnaie courante et s’inscrit comme une pratique courante dans de nombreux foyers boliviens, et ce au quotidien.
Même si des associations comme « Voces libres », « Mujeres Creando » s’élèvent contre ces abus depuis plus de 25 ans, le problème demeure et inquiète les autorités boliviennes.
De plus en plus, ces associations proposent des stages d’auto-défense, des cours de prévention des violences, et des ateliers pour développer la confiance en soi.
Violences conjugales en France,
Une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint/compagnon ou ex-conjoint/compagnon, pour une population 6 fois plus élevée que la Bolivie. Soit 173 personnes, dont 146 femmes, ont été tuées par leur conjoint(e) ou ex-conjoint(e) en 2019. 41% des personnes étaient déjà victime de violences. Une hausse de 16% par rapport à l’année 2018.
25 enfants sont tués en 2019.
Facebook : adelante mujer, voces libres, mujeres creando
Séance photos de groupe avec les femmes d’Adelante Mujer et leurs barbijos
Pour les suivre :
Facebook : adelante mujer, voces libres, mujeres creando
Distribution au Centro de la Salud à Combuyo
Plus d’une centaine de masques se sont retrouvés entre les mains des médecins et du personnel soignant pour être redistribuer auprès des usagers nécessiteux. « Les masques coûtent cher. Plus de 10 bolivanos pour ceux achetés en pharmacie. L’aide est bienvenue ! » nous confie Azul, employée au Centro de la Salud.

L’action « Un barbijos che dura para todos » en chiffres :
Au 31 juillet, plus de 500 barbijos fabriqués et distribués gratuitement en Bolivie
Plus de 100 participants … 3 entreprises de Machecoul (44/France)
MERCI MERCI MERCI MERCI MERCI MERCI MERCI MERCI MERCI
Quelle est la situation en Bolivie ?
L’action des barbijos ça continue et le confinement aussi ! Il est prolongé jusqu’au 31 août 2020. La paciencia, la paciencia,….à moins d’un plan B
Les élections présidentielles et législatives (prévues en mai, puis en septembre) sont à nouveau repoussées au 18 octobre 2020, à cause de la Pandémie. Jeanine Anez, présidente par intérim et récemment contaminée par le virus, reste aux commandes.
Evo Morales, ancien président démissionnaire, accusé de fraudes électorales et de corruption, socialiste, est toujours en exil en Argentine.
Des blocages d’accès aux principales villes sont annoncés dans les prochains jours…
Au 2 août,
la Bolivie compte 78 800 cas confirmés, 24 000 guérisons et + de 3 000 décès.
La situation des 5 pays limitrophes de la Bolivie
Le Pérou compte 422 183 cas confirmés, 290 835 guérisons et 19 408 décès.
L’Argentine compte 201 906 cas confirmés, 89 013 guérisons et 3 648 décès
Le Chili compte 359 731 cas confirmés, 332 411 guérisons et 9 608 décès
Le Brésil compte 2 733 677 cas confirmés, 1 884 051 guérisons et 94 104 décès
Le Paraguay compte 5485 cas confirmés, 3 786 guérisons et 52 décès.
La suite du programme dans le prochain article…..Allons nous pouvoir trouver une autre solution que de rester confinés in eternam ?
Prenez soin de vous. Une vague de Corona peut en cacher une autre…:)
Quelle extraordinaire source d’inspiration 🙌 messagers de lumière, transformer sa douleur avec bienveillance … tant de mots qui résonnent d’une culture bien trop violente. C’est formidable, merci pour ce bel article, a partager sans retenue 😊
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Coucou les amis
Quel bel épisode de votre aventure vous venez à nouveau de nous faire partager 🙏🏻. Un immense Merci et un immense Bravo !
Nous pensons fort à vous, nous vous adressons notre total soutien et notre amitié sincère.
Restons solidaires, optimistes, positifs, dans l’action et le partage. Vous êtes nos ambassadeurs du bout du monde 🌎.
On vous embrasse bien fort.
Myriam et Pascal
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